CEDH : La liberté d’expression protège le droit d’accéder à son propre site Internet

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

12 janvier 2013

La décision rendue par la Cour européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales le 18 décembre 2012 (Ahmet Yildrim c./ Turquie) donne à la Cour l’occasion de préciser la portée de la protection accordée par l’article 10 de la Convention, qui garantit la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, dans le contexte d’internet.

Un internaute turque se plaint de l’impossibilité d’accéder à son propre site Internet, sur lequel il publie ses travaux académiques et des opinions personnelles sur des thématiques variées. Ce site communautaire, hébergé par le module « Google Site », est accessible uniquement à travers l’adresse « sites.google.com ».

Or, « Google Sites » héberge également un site Internet contenant des propos outrageants pour le fondateur de la République de Turquie, faits sanctionnés pénalement par une loi de 1951. Faute de pouvoir identifier l’éditeur de ce site, un tribunal turc ordonne le blocage de l’intégralité du domaine « Google Sites ».

L’ensemble des utilisateurs de « Google Site » se voient ainsi privés de l’accès à leur propre site, ce que critique le requérant qui voit dans cette mesure une atteinte à sa liberté de recevoir et communiquer des informations.

La Cour européenne des droits de l’Homme suit son argumentation. En effet, la liberté d’expression « concerne non seulement le contenu des informations, mais aussi les moyens de diffusion de ces informations, car toute restriction apportée à ceux-ci touche le droit de recevoir et communiquer des informations » (paragraphe 50).

L’impossibilité dans laquelle s’est trouvé le requérant d’accéder à son propre site web constitue donc une ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Cette ingérence est, selon la Cour, contraire au principe de légalité dans la mesure où la législation en la matière n’est pas assez précise et le contrôle juridictionnel insuffisant.

L’arrêt se situe dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 (HADOPI), citée par l’arrêt commenté, dans laquelle le Conseil avait affirmé que le droit d’accéder à Internet s’analysait comme une composante de la liberté d’expression, dont les restrictions devaient être contrôlées par le juge judiciaire.

La CEDH avait par ailleurs déjà eu l’occasion de préciser que « grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information » (CEDH, 10 mars 2009, Newspaper Ltd c. Royaume Uni).

La décision commentée présente toutefois une spécificité intéressante, car elle consacre le droit pour tout internaute d’accéder à son propre site Internet. S’agissant en l’espèce d’un site communautaire ayant vocation à stocker et partager des informations, la décision consacre implicitement le droit d’accéder à des données stockées en ligne, mais également de communiquer à une communauté déterminée.

Enfin, cette décision amènera nécessairement les Etats membres à s’interroger sur les modalités de mise en œuvre des blocages de sites Internet et des saisies de noms de domaines.

En effet, la saisie de noms de domaine emporte l’impossibilité pour son titulaire d’accéder et de modifier les informations qu’il a stockées sur son site. Elle produit donc des effets similaires à une mesure de blocage sur Internet.

Dans son opinion concordante, le juge Pinto De Albuquerque précise les conditions que devraient remplir de telles mesures. Parmi ces dernières figurent « la détermination des autorités compétentes pour émettre une ordonnance de blocage motivée ; une procédure à suivre pour l’émission de cette ordonnance, ainsi qu’une procédure de recours de nature judiciaire contre l’ordonnance de blocage ».

Or, poursuit le juge, seules des dispositions spécifiques peuvent prévoir un tel encadrement, ni la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, ni les clauses générales de responsabilité civile ne constituant des « bases valables pour ordonner un blocage sur Internet ».

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