Distribution – Retards de paiement dans les transactions commerciales : la CJUE fournit des précisions sur la directive 2011/7/UE

Type

Veille juridique

Date de publication

30 mars 2023

CJUE, 1er décembre 2022, C- 370/21, DOMUS-Software-AG c./ Marc Braschoß Immobilien Gmb, C-419/21, X sp. z o.o. sp.k., c./ Z.

Suite à plusieurs renvois préjudiciels, la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») a précisé le champ d’application de la directive 2011/7/UE[1], ainsi que les critères d’indemnisation du créancier impayé à l’échéance, dans deux arrêts rendus le 1er décembre 2022.

En l’espèce, l’affaire C-370/21[2] concernait un contrat conclu par deux entreprises de droit allemand « Domus » et « MBI » pour la maintenance d’un logiciel moyennant le paiement mensuel d’une somme de 135€. À la suite du non-respect de l’échéance de paiement, le créancier (« Domus ») a saisi le tribunal de district de Munich (« lAmtsgericht München ») pour faire condamner le débiteur (« MBI ») au paiement de la créance principale due, assortie d’intérêts de retard pour l’ensemble des factures, mais également, une indemnisation forfaitaire de 40€ pour chacune des factures impayées pour les frais de recouvrement exposés en conséquence des retards de paiement successifs dans le cadre d’un seul et même contrat.

S’il a été fait droit à la demande principale du créancier, la juridiction allemande a toutefois plafonné l’indemnisation du créancier au seul paiement par le débiteur d’un montant forfaitaire de 40€ en ce que les factures impayées ne découlaient que d’un seul contrat.

En appel, le tribunal régional de Munich (« Landgericht München ») a déclaré qu’à la lumière de la directive 2011/7/UE, l’existence de plusieurs créances, à la suite du non-respect de l’échéance de paiement, nées d’un seul et unique contrat, peuvent être indemnisées par le paiement d’un montant forfaitaire de 40€ pour chaque créance distincte.

Dans les faits de la seconde affaire[3] (C-419/21) une société polonaise (« X ») a conclu un contrat de fourniture de matériel médical avec un hôpital public (« Z »).

La société Z, ne s’acquittant pas de l’échéance des paiements dus en rémunération de douze fournitures successives de marchandises, la société polonaise, créancière, a saisi le tribunal de première instance (« Sąd Rejonowy dla m.st. Warszawy w Warszawie ») afin de voir condamner l’hôpital public à verser une indemnisation forfaitaire de 480€ pour les frais de recouvrement, soit 40€ pour chacune des 12 factures impayées.

La juridiction allemande ainsi que la juridiction polonaise ont alors transmis des questions préjudicielles à la CJUE relatives à l’interprétation des dispositions combinées de l’article 6, paragraphes 1 et 2, et de l’article 3 de la directive 2011/7/UE. Dans un premier temps, il était question d’obtenir plus de précisions quant au champ d’application de la directive, notamment sur la notion de « transactions commerciales[4] ». Enfin, il s’agissait de savoir si dans le cadre d’un seul et même contrat, chaque retard de paiement du débiteur ouvrait droit au versement d’un montant forfaitaire minimum de 40€ pour les frais de recouvrement, ou si ce montant était dû une seule fois, indépendamment du nombre de paiement en retard[5].

La notion de transaction commerciale

En ce qui concerne le champ d’application de la directive 2011/7/UE, la CJUE a éclairci la notion de « transaction commerciale » de l’article 2, point 1 de la directive dans son arrêt C-419/21. En effet, la notion de transaction commerciale doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle couvre chacune des fournitures de marchandises effectuées en exécution d’un seul et même contrat ou couvre-t-elle uniquement le contrat en exécution duquel ces marchandises doivent être successivement fournies ?

Ayant rappelé l’article 1er, paragraphe 2 de la directive, la Cour a souligné que la notion devait être interprétée de manière large et ne devait pas être systématiquement raccrochée à la notion de contrat[6]. Qui plus est, la Cour a souligné que cette notion de « transaction commerciale » est autonome et uniforme en ce qu’aucun renvoi exprès ne peut être opéré vis-à-vis des législations des Etats membres pour son interprétation[7].

Aussi, pour qu’une opération soit qualifiée de transaction commerciale, cette dernière doit satisfaire deux conditions. Elle doit être effectuée entre des entreprises privées ou soit entre des entreprises et les pouvoirs publics, et doit conduire à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre une rémunération[8]. Dès lors, la notion de transaction commerciale couvre chacune des fournitures de marchandises ou des prestations de services, effectuées en exécution d’un seul et même contrat[9].

En l’espèce, la Cour a jugé qu’une transaction commerciale existait bien en ce que les parties, dans le cadre d’un seul contrat, étaient convenues de la fourniture de marchandises ou des prestations de services successives, chacune faisant naître une obligation de paiement à la charge du débiteur. Partant, la notion de transaction commerciale ne pouvait coïncider avec la notion de contrat, ce qui aurait drastiquement restreint la portée « large » de la notion, souhaitée par le législateur.

Un montant forfaitaire pour chaque créance

En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, la CJUE s’est référée aux objectifs de la directive, à savoir, la protection du créancier face aux retards de paiements et une garantie d’indemnisation complète au profit de ce dernier. La Cour a considéré qu’un montant forfaitaire de 40€ minimum peut être imposé au débiteur pour chaque facture impayée en présence d’un non-respect de délai de paiement, et ce, même si ces créances résultent d’un seul et même contrat.

La Cour a basé son raisonnement sur la notion de « transactions commerciales considérées individuellement[10] » à la lumière du considérant 22 de la directive[11].

Dès lors, « l’accumulation, dans le chef du débiteur, de plusieurs retards dans le paiement de fournitures de marchandises ou de prestations de services à caractère périodique, en exécution d’un seul et même contrat, ne saurait avoir pour effet de réduire le montant forfaitaire minimal dû à titre d’indemnisation des frais de recouvrement pour chaque retard de paiement à un montant forfaitaire unique[12]» pour chaque créance impayée.

Partant, quand un contrat prévoit des livraisons de marchandises ou prestations de services successives ou à caractère périodique qui doivent être payées dans un délai déterminé, un montant forfaitaire à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement peut être imposé au créancier en cas de retard de paiement pour chaque facture impayée, quand bien même ces dernières découleraient d’un seul et unique contrat[13].

En effet, la Cour souligne que « ni l’article 4, paragraphe 1, ni l’article 6, paragraphe 1 de la directive 2011/7 ne comportent de distinction selon que les paiements dus en rémunération des marchandises fournies ou des services prestés, non acquittés à l’échéance, procèdent ou non d’un seul et même contrat. Dès lors, le libellé de ces dispositions ne saurait venir au soutien de l’interprétation selon laquelle, dans le cas d’un seul contrat, le montant forfaitaire minimal de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, ne serait dû au créancier, qu’une seule fois, indépendamment du nombre de paiements distincts qui sont en retard[14] ».


[1] Directive 2011/7/UE concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciale, disponible ici.

[2] Arrêt CJUE, 1er décembre 2022, Aff. C-370/21, disponible ici.

[3] Arrêt CJUE, 1er décembre 2022, Aff. C-419/21, disponible ici.

[4] C-419-21, pt 18§2.

[5] C-419/21, pt 18 ; C-370/21, pt 18§1.

[6] C-419/21, pt 25 et 22.

[7] C-419/21, pt 21.

[8] C-419/21, pt 23.

[9] C-419/21, pt 39.

[10] C-370/21, pt 23 ; C-419/21, pt 32.

[11] Cons. 22 de la directive 2011/7/UE : « La présente directive ne devrait pas empêcher les paiements par tranches ou échelonnés. Cependant, il convient que chaque tranche ou versement soit réglé selon les termes convenus et reste soumis aux dispositions de la présente directive concernant le retard de paiement. »

[12] C-370/21, pt 28.

[13] C-370/21, pt 29.

[14] C-419/21, pt 33.

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