Mise à disposition des biens loués à une société dans laquelle le preneur n’est pas associé : cession prohibée ?

Type

Veille juridique

Date de publication

16 janvier 2025

L’un des grands principes du régime du bail rural est que toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur. Si le preneur ne respecte pas cette interdiction, le bailleur peut demander la résiliation du bail.

Le preneur qui est associé d’une société à objet principalement agricole peut néanmoins mettre à la disposition de celle-ci les biens loués, à condition d’en aviser le bailleur, et, surtout, dès qu’il continue de participer à l’exploitation des biens de façon effective et permanente. Le bailleur peut également demander la résiliation du bail en cas de non-respect de cette disposition, mais si elle est de nature à lui porter préjudice ce qu’il doit démontrer.

Récemment, la Cour de cassation a eu à connaitre de plusieurs situations où les biens loués avaient été mis à disposition d’une société ou d’un groupement d’exploitation agricole par les preneurs et, comme cela est fréquent en pratique, certains d’entre eux n’étaient pas associés de la structure mais continuaient cependant à se consacrer à l’exploitation.

Selon les bailleurs, la faculté de mettre les biens loués à la disposition d’une société impose, en cas de pluralité de preneurs, que ceux-ci soient tous associés. A défaut, le preneur non associé manque à son obligation de se consacrer personnellement à la mise en valeur des biens et la mise à disposition équivaut à une cession prohibée entrainant la résiliation du bail. Dit autrement, le seul fait de ne pas être associé de la société, constitue pour les bailleurs, une cession prohibée et donc un manquement justifiant la résiliation du bail.

De leurs côtés, les preneurs ont mis en avant que les bailleurs avaient été régulièrement informés de la mise à disposition et, surtout, que le fait que l’un des copreneurs ne soient pas associé de la structure était indifférent dès lors qu’il continuait de participer à l’exploitation.

La question était donc de savoir si cette mise à disposition irrégulière constitue une cession illicite entrainant la résiliation du bail ou si la résiliation du bail est conditionnée au fait que les bailleurs prouvent que cette situation leurs cause un préjudice.

Dans trois arrêts rendus le 26 septembre 2024, les juges de la cour suprême ont considéré que « le preneur, ou en cas de cotitularité, l’un ou les copreneurs, qui mettent les biens loués à la disposition d’une société dont ils ne sont pas associés mais qui continuent à se consacrer à l’exploitation de ceux-ci, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, n’abandonnent pas la jouissance des biens loués et ne procèdent donc pas à une cession prohibée du bail ». Il en résulte que, dans ce cas, le bailleur « est donc tenu de démontrer que le manquement est de nature à lui porter préjudice ».

Par conséquent, la simple mise à disposition des biens loués à une société dont le preneur n’est pas associé, ne peut suffire pour obtenir la résiliation du bail. La participation de façon active et permanente du preneur aux travaux de l’exploitation est donc déterminante pour éviter que soit caractérisée une cession prohibée qui est sanctionnée par la résiliation du bail. Cette participation se prouve par tous moyens (affiliation MSA en qualité de conjoint collaborateur participant aux travaux, statuts de la structure, attestation, …), l’important étant de démontrer que les preneurs ont conservé la jouissance des biens et le contrôle de l’exploitation des biens. A l’inverse, de simples fonctions de gestion dans la structure sont insuffisantes pour prouver une participation à l’exploitation suffisante.

Lorsqu’est démontrée la participation effective du preneur qui n’est pas associé de la structure bénéficiant de la mise à disposition, le bailleur ne peut alors solliciter la résiliation du bail qu’en prouvant que le manquement est de nature à lui porter préjudice.

Egalement, dans l’une des décisions rendues le 26 septembre 2024, les juges ont considéré que l’irrégularité de la mise à disposition ne peut être opposée par le bailleur à l’encontre du preneur souhaitant continuer l’activité, en cas de départ à la retraite de l’autre preneur. Cette mise à disposition ne peut en effet caractériser une mauvaise foi ou une atteinte aux intérêts du bailleur, intérêts qui s’apprécient au regard de la capacité du copreneur à assurer la bonne exploitation des biens et le respect de ses obligations légales et contractuelles.

En conséquence, la participation active et permanente du preneur à l’exploitation des biens loués est donc très importante pour éviter la résiliation du bail en cas de situations irrégulières en cours de bail, que le ou les preneurs ne perçoivent pas nécessairement car résultant de situations fréquentes comme la création ou la participation à des sociétés auxquelles les biens loués sont mis à disposition.

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