Analyse de la proposition de loi déposée le 19 février 2018, portant transposition de la Directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites du 8 juin 2016

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

15 mars 2018

La Directive UE 2016/943 du 8 juin 2016 « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », à laquelle nous avions consacré une newsletter en juin 2016 impose aux Etats Membres de mettre en vigueur les législations nationales nécessaires pour se conformer au texte communautaire au plus tard le 9 juin 2018 (article 19 de la Directive).

Le processus législatif s’est enclenché avec le dépôt le 19 février 2018 d’une proposition de loi n° 675 portant transposition de la Directive. Le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi le 21 février 2018.

Ce texte qui élabore un régime de responsabilité civile et non pénale, se propose de compléter le livre 1er du code de commerce par un titre V « De la protection du secret des affaires » dont les nouvelles dispositions devraient être intégrées dans de nouveaux articles L 151-1 à L 153-2.

  • Le chapitre Ier du titre V vise à définir le secret des affaires et fixer les conditions de protection.

On notera immédiatement un changement de terminologie par rapport à la Directive qui utilise le terme « secrets d’affaires », tandis que la proposition de loi a opté pour « secret des affaires ».

La définition de l’information protégée par le secret des affaires qui serait l’objet du futur article L.151-1 du code de commerce reprend les trois critères cumulatifs prévus par l’article 2 de la Directive, directement inspiré de l’Accord sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC) à savoir, une information connue par un nombre restreint de personnes ( qui n’est pas « généralement connue ou raisonnablement accessible à une personne agissant dans un secteur d’activité traitant habituellement de cette catégorie d’information »), ayant une « valeur commerciale » et qui fait l’objet de « mesures de protection raisonnables » par son détenteur pour en conserver le secret.

En vertu du futur article L. 151-3, l’obtention du secret des affaires serait illicite lorsqu’elle intervient sans le consentement de son détenteur légitime et en violation d’une ou plusieurs des mesures prises pour en conserver le caractère secret à savoir notamment une interdiction d’accès ou une limitation contractuellement prévue. Il est également prévu que l’obtention du secret des affaires sans le consentement de son détenteur est illicite « dès lors qu’elle résulte de tout comportement déloyal contraire aux usages en matière commerciale ».

Enfin, la proposition de loi prévoit notamment (Art. L. 151-4) que l’utilisation ou la divulgation du secret des affaires est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime par une personne qui a obtenu le secret dans les conditions prévues à l’article L. 151-3.

Le futur article L 151-6 aurait pour objet de prévoir les dérogations à la protection du secret des affaires notamment lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation intervient pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, ou encore pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général. Seraient donc ainsi visés notamment, les journalistes et les lanceurs d’alerte.

  • Le chapitre II est relatif aux actions en prévention, en cessation ou en réparation d’une atteinte au secret des affaires.

A cet égard, la Directive comme la proposition de loi de transposition se sont très largement inspirées des procédures prévues dans le domaine de la protection des droits de propriété intellectuelle, notamment par la loi du 11 mars 2014 n°2014-315 renforçant la lutte contre la contrefaçon et transposant la Directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, intégré dans le Code de la Propriété Intellectuelle.

Ainsi, le détenteur légitime de l’information pourrait obtenir sous astreinte et sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts, « toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires » et notamment des mesures d’interdiction, de destruction totale ou partielle de tout document ou objet contenant le secret, le rappel des circuits commerciaux etc. (article L 152-2).

La réparation d’une atteinte au secret des affaires (article L 152-3 et L 152-4) serait calquée sur les mesures réparatrices de l’atteinte portée aux droits de propriété intellectuelle. Ainsi le calcul des dommages et intérêts devrait prendre en considération : le manque à gagner et la perte subie par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte (y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels), ainsi que le préjudice moral.

A titre d’alternative, et sur demande de la partie lésée, la juridiction pourra allouer un montant forfaitaire qui tienne compte des redevances si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le secret des affaires.

On peut regretter quelques « oublis » dans le chapitre II prévu par cette proposition de loi, qui reste notamment muet sur les mesures probatoires.

On peut également s’étonner du manque de précisions concernant les mesures conservatoires et provisoires pourtant prévues par la Directive qui distingue clairement ces mesures (Section 2, articles 10 et 11) et les mesures résultant d’une décision judiciaire rendue au fond (section 3, articles 12 à 15). Or l’article L 152-2 ne fait aucune distinction entre des mesures qui seraient obtenues en référé ou au fond.

Par ailleurs, aucun délai pour assigner au fond à compter de l’ordonnance prévoyant des mesures d’urgence n’est prévu. Or la Directive impose bien aux Etats membres de veiller à ce que les mesures provisoires et conservatoires soient révoquées ou cessent de produire leur effet si le demandeur n’engage pas de procédure judiciaire au fond dans un délai raisonnable déterminé par l’autorité judiciaire ordonnant les mesures ou en l’absence d’une telle détermination dans un délai de 20 jours ouvrables ou 31 jours civils (qui est aujourd’hui le délai retenu par le code de la propriété intellectuelle dans le cas d’un référé fondé sur un droit de propriété intellectuelle).

Aucune disposition n’est davantage prévue concernant le délai de prescription (qui selon la Directive ne peut excéder 6 ans), ce qui laisse à penser que le délai de 5 ans de droit commun sera applicable.

Enfin, on peut s’interroger sur la place qui sera laissée dans ce domaine à la responsabilité civile de droit commun (action en concurrence déloyale ou parasitaire). Il aurait été peut-être opportun de préserver la possibilité de l’invoquer dans les cas où la loi de transposition ne pourrait s’appliquer.

  • Le chapitre III prévoit enfin des mesures de protection au cours des actions en prévention cessation ou réparation d’une atteinte au secret des affaires.

Ces nouvelles dispositions (prévues aux articles L 153-1 et L 153-2) auraient pour objet de protéger le caractère confidentiel des secrets d’affaires au cours des procédures judiciaires.

Ainsi, lorsqu’à l’occasion d’une action, il sera fait état d’une pièce qui serait de nature à porter atteinte à un secret, les juges pourraient d’office ou à « la demande des parties ou d’un tiers » (on regrettera le manque de précision sur la qualité de ce tiers qui était pourtant visé selon une énumération précise par la Directive), prendre seuls connaissance de cette pièce, ordonner la communication ou la production sous forme de résumé et en restreindre l’accès à certaines personnes, décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée hors la présence du public ou encore adapter la motivation de leur décision aux nécessités de la protection du secret des affaires.

Le futur article L. 153-2 instituerait une obligation de confidentialité en précisant que toute personne ayant accès à une pièce dont le contenu est susceptible d’être couvert par le secret des affaires est tenue à une telle obligation. Cette obligation ne s’applique pas aux personnes habilitées à assister ou représenter les parties à l’égard de celles-ci. Afin de garantir l’effectivité de cette obligation, le dernier alinéa prévoit qu’elle perdure à l’issue de la procédure et prend fin sur décision d’une juridiction ou lorsque les informations en cause ont cessé de constituer un secret des affaires.

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