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Droit des marques – Exemple d’une méthode de fixation par les tribunaux d’un taux de redevance afin d’évaluer le préjudice subi du fait d’actes de contrefaçon
Veille juridique
23 octobre 2020
Cour d’appel de Paris, 2e ch. civile, 15 mai 2020, n°19-10859
L’article L.716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle offre la possibilité au titulaire d’un marque de solliciter, à titre de réparation d’actes de contrefaçon, une somme forfaitaire dont le montant est supérieur à celui qui lui aurait été versé à titre de redevances de licence par la personne poursuivie au titre de la contrefaçon. A défaut pour ce titulaire de justifier de ses taux de redevance, le juge procèdera de lui-même à sa propre évaluation.
En l’espèce, la société GUIGAL, titulaire de la marque verbale « LA MOULINE » qui désigne un vin d’appellation d’origine contrôlée Côte-Rôtie, avait obtenu par jugement définitif, l’interdiction à l’encontre de la société coopérative agricole de vinification Les Vins de Roquebrun (« la société Les Vins de Roquebrun ») d’apposer sur ses bouteilles le signe « TERRASSES DE LA MOULINE », de tels agissements étant constitutifs d’actes de contrefaçon.
Malgré cette décision, la société Les Vins de Roquebrun poursuivait la production d’un vin d’appellation Saint-Chinian sous le nom « TERRASSES DE LA MOULINE », destiné à l’exportation au Canada et procédait au dépôt de la marque complexe « TERRASSES DE LA MOULINE » au Canada. La société GUIGAL a donc assigné la société Les Vins de Roquebrun en paiement de dommages-intérêts afin d’obtenir l’allocation de la somme forfaitaire de 24.000.000€ sur le fondement de l’article L.716-14 al. 2 du Code de la propriété intellectuelle (devenu l’article L.716-4-10 du CPI) dès lors que la société Les Vins de Roquebrun n’aurait pas respecté le jugement rendu.
Selon cet article, le préjudice de la contrefaçon devait donc être évalué en tenant compte du montant des redevances qui auraient été dues à la société GUIGAL si la société Les Vins de Roquebrun avait demandé l’autorisation d’apposer le signe « LA MOULINE ». Ainsi, il revenait en principe à la société GUIGAL, ayant choisi ce mode de réparation du préjudice subi, de fournir les taux de redevances appliqués habituellement à ses licenciés.
En première instance, le Tribunal a débouté la société GUIGAL de cette demande. La Cour d’appel de Paris a retenu que les actes de contrefaçon se matérialisaient non pas par la commercialisation au Canada des bouteilles qui était régulière dès lors que la société Les Vins de Roquebrun avait procédé au dépôt de la marque « TERRASSES DE LA MOULINE » pour ce territoire, mais par l’apposition en France des étiquettes litigieuses sur les bouteilles de vin exportées au Canada. En conséquence, la Cour a évalué à 10.000€ le préjudice subi qui résultait de l’atteinte portée en France à la marque « LA MOULINE », sans exposer la méthode de calcul lui ayant permis de fixer ce montant.
La Cour de Cassation a censuré ainsi la décision des juges du fond qui auraient dû s’expliquer davantage sur le montant des redevances que la société GUIGAL aurait été en droit d’exiger pour autoriser la défenderesse à apposer le signe litigieux en France.
La Cour d’appel de renvoi procède finalement à une évaluation détaillée en considération du cas d’espèce. Tout d’abord, bien que la société GUIGAL indique que la redevance qui aurait été due serait de 30€ par bouteille, soit 10% du prix de vente d’une bouteille de son vin « LA MOULINE » vendue en moyenne 300€, cette dernière ne produit aucun contrat ou justificatif.
Au regard de la carence de la société GUIGAL à justifier de la réalité des taux de redevances appliqués à ses licenciés, la Cour évalue en définitive elle-même le montant de la redevance à 2% du prix de la bouteille vendue, soit à 20 centimes d’euros par bouteille.
Elle se fonde pour cela sur le prix de vente de la bouteille de vin litigieuse au Canada d’une part, (14,55 dollars canadien, soit 10€) et la nature de la licence qui aurait été conclue d’autre part, à savoir une licence sur l’apposition de l’étiquette.
Enfin, la Cour prend également en compte le nombre de bouteilles portant l’étiquette litigieuse importées au Canada (20.000 bouteilles) ce qui lui permet d’évaluer la somme forfaitaire à allouer à un montant de 40.000€ minimum, auquel elle ajoute 10.000€ afin de réparer le préjudice moral subi du fait de l’apposition en France des étiquettes litigieuses.
Cet arrêt illustre ainsi l’importance du choix de la méthode d’indemnisation, et de la nécessité de justifier, pour le demandeur, de son préjudice.