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Influenceurs – Analyse de la réglementation applicable et de la proposition de loi visant à encadrer leur activité
Veille juridique
27 mars 2023
En France, le nombre d’influenceurs serait estimé à plus de 150.000. Une étude conduite en janvier 2023 par la DGCCRF sur une soixantaine d’influenceurs révèlerait que 60% d’entre eux ne se conformeraient pas à la réglementation actuelle[1].
Certaines initiatives ont déjà émergé pour assainir les pratiques. A titre d’exemple, l’OCDE a publié un « Guide des bonnes pratiques sur la publicité en ligne » en 2019. La CCI propose également un « Code de communication sur la publicité et le marketing ». En France, l’ARPP a publié des recommandations déontologiques relative aux bonnes pratiques de transparence et de loyauté applicables au marketing d’influence[2].
Face à la multiplicité des violations de la réglementation déjà applicable aux influenceurs (1.), plusieurs propositions de loi visant à encadrer spécifiquement cette activité ont émergé, dont la plus avancée à ce jour est celle « visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » (2.).
1. Une réglementation de droit commun déjà applicable aux influenceurs
A ce jour, seule la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020[3] destinée exclusivement aux mineurs encadre l’activité d’influenceurs.
En l’absence de textes spécifiques, les réglementations issues du droit commun s’appliquent aux influenceurs, notamment celles relatives au droit de la publicité, au droit de la consommation ou encore au droit pénal. Plusieurs influenceurs ont à ce titre déjà été sanctionnés (voir en Annexe).
On notera notamment les obligations suivantes :
- L’identification du partenariat par l’influenceur
L’article 20 de la loi LCEN prévoit depuis 2008 l’obligation pour « toute publicité accessible (…) par un service de communication au public en ligne » d’identifier clairement la personne pour le compte de laquelle elle est réalisée. En pratique, cela se traduit par exemple par la mention « en partenariat avec… » ou « sponsorisé par… » sur les publications de l’influenceur.
- L’interdiction des pratiques commerciales trompeuses
L’influenceur faisant la promotion d’un produit défectueux ou d’un site frauduleux peut également être sanctionné sur le terrain de la pratique commerciale déloyale ou trompeuse[4].
A ce titre, l’influenceuse Nabilla a récemment été condamnée par la DGCCRF au paiement d’une amende transactionnelle de 20.000€ pour pratiques commerciales trompeuses sur les réseaux sociaux relatives à la promotion sur le réseau social Snapchat d’un site de formation au trading en ligne (voir en Annexe).
- Les dispositions de la loi Evin
La loi Evin encadre la publicité des boissons alcoolisées et s’applique aux publications faites via un réseau en ligne.
A titre d’exemple, le groupe Meta a récemment été contraint par le Tribunal judiciaire de Paris de retirer 37 publications d’influenceurs sur Instagram qui reproduisaient des boissons alcoolisées de manière illicite et de communiquer les données des propriétaires des comptes afin de les identifier[5].
- La réglementation relative à la publicité de jeux d’argent, de hasard et aux paris sportifs
Toute communication commerciale en faveur d’un opérateur de jeux d’argent et de hasard doit respecter un certain nombre de règles strictes, dont notamment la reproduction d’un message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique.
Est également prohibée toute publication à destination des mineurs.
2. L’élaboration d’un cadre légal spécifique aux influenceurs
Plusieurs propositions de loi visant à réglementer l’activité des influenceurs sur les réseaux ont déjà été déposées à l’Assemblée nationale, dont notamment la proposition du 15 novembre 2022 « visant à encadrer les pratiques commerciales et publicitaires liées au marché de l’influence sur internet », la proposition « visant à renforcer la prévention contre les pratiques commerciales illicites liées au marché de l’influence sur internet à et renforcer la lutte contre ces pratiques » du 15 décembre 2022 et celle du 27 décembre 2022 “visant à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux. »
La dernière proposition en date est celle enregistrée à l’Assemblée nationale le 22 mars 2023, « visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Elle est actuellement en 1ère lecture devant l’Assemblée selon la procédure accélérée.
Ce texte instaure plusieurs nouvelles dispositions visant directement les influenceurs :
- Une définition légale de l’influenceur
La proposition définit l’influenceur ainsi : « Les personnes physiques ou morales qui mobilisent leur notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion,
directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature dont la valeur est supérieure aux seuils fixés par décret »[6].
Celle-ci s’inspire des définitions déjà proposées par l’ARPP[7] ainsi que par celle faite par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 10 février 2021[8].
- L’obligation d’avoir une représentation sur le sol de l’Union européenne pour les influenceurs s’adressant à un public français
Le texte prévoit l’obligation pour les influenceurs établis en dehors de l’Union européenne et visant le public français de désigner un représentant légal (personne physique ou morale) présent dans un État de l’Union européenne, lequel devra souscrire une assurance civile pour couvrir ses activités.
Le représentant légal sera alors soumis au droit français et toute personne faisant appel aux services de l’influenceur devra contracter avec son représentant légal.
- L’encadrement de l’activité d’agent d’influenceur
La proposition de loi définit l’agent d’influenceur comme celui qui « à titre onéreux, représente ou met en relation les influenceurs avec des personnes sollicitant leur service afin de promouvoir des biens, des services, des pratiques ou causes quelconque ». Il peut également proposer aux influenceurs des « prestations d’assistance et de conseil ».
L’agent a alors pour obligation de prendre « toute mesure pour garantir la défense de leurs intérêts et pour éviter les situations de conflits d’intérêts ».
La proposition définit également les stipulations devant être présentes dans les contrats conclus entre un influenceur et son agence, parmi lesquelles la nature des missions confiées, les modalités de rémunérations et les droits et obligations respectives des parties.
- L’indication du caractère promotionnel de l’offre
Toute promotion de produits / services par un influenceur devra être explicitement indiquée par une mention claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion.
Cela pourrait par exemple être un bandeau visible sur l’image.
Les mentions « sponsorisés » ou « en partenariat » ne seraient dès lors plus suffisantes.
Les images retouchées devront également être accompagnées de la mention : « Images retouchées », visible sous tous les formats, sur le contenu modifié, photo ou vidéo, et ce durant l’intégralité du visionnage.
Cette mention existe déjà pour les photographies à usage commercial de mannequins ayant été retouchées.[9]
La violation de ces dispositions est punie d’un an d’emprisonnement et de 4.500 euros d’amende.
En outre, si l’influenceur n’est qu’un intermédiaire dans la vente, il devra :
- informer l’acheteur potentiel de l’identité de son fournisseur ;
- vérifier la disponibilité du bien ;
- vérifier qu’il ne s’agit pas d’un produit contrefaisant ;
- vérifier l’existence d’un certificat de conformité aux normes européennes
Cela vise à mieux encadrer la pratique du « dropshipping » dans laquelle le vendeur ne se charge que de la commercialisation, le fournisseur supportant la fabrication et l’expédition.
- L’interdiction de promotion pour certains produits et services
La promotion de certains produit / services fera l’objet d’une interdiction pure et simple. Aucun de ces produits ne pourra être proposé par un influenceur :
- Secteur de la santé : sont concernés la prescription, la délivrance, la vente, la réalisation ou la consommation des actes, procédés, techniques et méthodes esthétiques réservés aux professionnels de santé, ainsi que les interventions de chirurgie, y compris celles sans visée thérapeutique ou reconstructrice.
La précédente version du texte prévoyait une interdiction expresse beaucoup plus large puisqu’étaient également visés les produits pharmaceutiques tels que les médicaments, les contraceptifs ou encore les denrées alimentaires destinées à des fins médicales.
Une dérogation était également auparavant prévue pour les relais des campagnes de santé du Gouvernement.
- Secteur financier : la proposition s’inspire ici de la rédaction déjà existante à l’article L. 222-16-1 du Code de la consommation qui interdit la publicité, directe ou indirecte, adressée par voie électronique. Sont ainsi notamment visés :
- certains contrats financiers les plus à risque ;
- la fourniture de certains services sur actifs numériques ;
- les offres au public de jetons ;
- les placements ou investissements entraînant des risques de pertes pour le consommateur dans un actif numérique ou, plus généralement, dans un bien incorporel fongible ou non fongible. Sont visées en particulier les offres de livrets cryptos et les jetons non fongibles (NFT).
- Les produits illicites et contrefaisants : sont uniquement visés les contrefaçons de marque[10] et non de brevet, de droit d’auteur ou de dessin et modèle, ce qui peut paraitre étonnant et devrait vraisemblablement être rectifié lors de l’examen de la loi par l’Assemblée nationale.
La violation de ces dispositions serait sanctionnée d’une peine de de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, auxquelles pourra s’ajouter l’interdiction d’exercer l’activité d’influenceur.
- L’encadrement de la promotion pour certains produits et services
- La promotion des formations professionnelles serait autorisée uniquement s’il est notamment précisé la nature du financement de cette formation ainsi que des engagements et règles d’éligibilité associés. Il devra également être mentionné la dénomination sociale du prestataire responsable de la formation et le prestataire référencé sur le service dématérialisé mentionné à l’article L. 6323‑9 du code travail.
- Les jeux d’argent et de hasard[11] et les jeux vidéo pouvant être assimilable aux jeux d’argent et de hasard : il faudra informer par un bandeau visible sur l’image ou la vidéo durant l’intégralité de la promotion que ces jeux sont réservés aux personnes majeures et respectent les dispositions législatives et réglementaires applicables à ces jeux d’argent et de hasard.
- La promotion de boissons sucrées ou avec ajout de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés : il faudra inclure une information à caractère sanitaire dont le contenu sera fixé par un arrêté.
Les sanctions prévues en cas de non-respect de ces dispositions sont d’un an d’emprisonnement et de 4.500 euros d’amende.
- La création d’un label national « Relations influenceurs responsables »
Ce label pourra être délivré à toute personne morale contribuant, dans le cadre de ses activités, à la prévention des arnaques et des dérives des influenceurs.
Un décret devra préciser les modalités encadrant ce nouveau label.
* * *
La proposition de loi est actuellement débattue à l’Assemblée nationale puis sera examinée au Sénat.
Plusieurs modifications sont donc encore susceptibles d’intervenir.
[1] Communiqué de presse de la DGCCRF n°525 du 23 janvier 2023
[2] Recommandation communication publicitaire numérique, entrée en vigueur le 1er janvier 2022
[3] Loi n°2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne (1)
[4] Voir notamment art. L121-2.3° du Code de la consommation
[5] Tribunal judiciaire de Paris, 5 janvier 2023, Affaire Addiction France / META
[6] Article Article 1er issu de la proposition de loi n° 1006 visant à lutter contre les arnaques et les dérives les influenceurs sur les réseaux sociaux
[7] ARPP : « individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres, à une audience identifiée »
[8] CA Paris, Pôle 5, ch. 15, 10 Févr. 2021 – n° 19/17548 : « Personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing »
[9] Article L2133-2 du Code de la santé publique
[10] Art. 2.B. de la proposition de loi : « Les produits illicites et contrefaisants définis aux articles L. 716‑9 à L. 716‑11 du code de la propriété intellectuelle ».
[11]Tels que définis à l’article L. 320‑1 du code de la sécurité intérieure et qui relèvent plus généralement des chapitres II, II ter et II quater du titre II du livre III du Code de la sécurité intérieure