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La preuve de l’usage sérieux d’une marque peut être établie par l’exploitation d’une marque sous une forme modifiée
Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication
23 novembre 2012
L’arrêt Rintisch rendu le 25 octobre 2012 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») a précisé les conditions auxquelles le titulaire d’une marque peut apporter la preuve de son usage sérieux pour échapper à la déchéance de celle-ci.
Pour rappel, le titulaire d’un droit de marque s’expose à sa déchéance lorsque la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période de 5 ans.
Les articles 10§2.a) de la Directive 89/104 et 15§2.a) du Règlement 40/94 admettent que l’exploitation d’un signe sous une forme modifiée de la marque telle qu’enregistrée initialement prouve son usage sérieux sous réserve de ne pas en altérer son caractère distinctif. En revanche, ces articles ne précisent pas si une telle preuve peut être établie lorsque le signe modifié a lui-même fait l’objet d’un enregistrement comme marque.
La jurisprudence française a jusque-là apporté des réponses contradictoires. Dans un premier temps, il a été considéré que la marque seconde ne pouvait prouver l’usage sérieux de la marque initiale (Ass. Plén., 16 juillet 1992). Puis la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, admettant la preuve de l’usage sérieux d’une marque par l’usage d’une autre marque similaire (Cass.Com, 14 mars 2006), avant de revenir à sa position initiale (Cass.Com, 16 février 2010).
Dans le cas présent, la CJUE était saisie d’une question préjudicielle consistant à déterminer si l’exploitation d’une marque sous une forme modifiée constitue un usage sérieux alors même que le signe modifié a été déposé comme marque. En l’espèce, le titulaire des marques PROTI, PROTIPLUS et ProtiPower entendait que soit interdit l’usage de la marque Protifit déposée par un tiers. Or, seules les deux dernières marques du requérant étant en réalité exploitées, le défendeur n’a pas manqué de soulever que la première marque ne pouvait lui être opposée.
La CJUE considère d’abord qu’un signe dérivé d’une marque peut lui-même être enregistré comme marque par son titulaire. Les juges européens rappellent ensuite que ce dernier peut prouver l’usage sérieux de son droit en exploitant celle-ci sous une forme différente de son enregistrement pourvu que les modifications n’affectent pas le caractère distinctif du signe premier. A cet effet, la CJUE invoque la nécessité pour les opérateurs économiques de pouvoir s’adapter aux évolutions du marché. Et, pour ce même motif, la CJUE estime que ces opérateurs doivent également pouvoir apporter une telle preuve lorsque le signe modifié a fait l’objet d’un dépôt de marque. Elle relève d’ailleurs qu’aucun texte n’interdit qu’une marque constituée d’une forme différente d’une marque initiale puisse prouver l’usage sérieux de celle-ci. La CJUE conclue donc que « l’enregistrement en tant que marque de la forme sous laquelle une autre marque enregistrée est utilisée, forme qui diffère de celle sous laquelle cette dernière marque est enregistrée … ne fait pas obstacle à l’application de l’article 10§2, sous a), de la directive 89/104 » (§24). Dès lors, que le signe dérivé soit où non lui-même enregistré comme marque est indifférent dans l’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque.
La CJUE aurait pu s’arrêter là mais elle a tenu à préciser que cette décision ne remet pas en cause l’arrêt Bainbridge (CJCE, 13 octobre 2007 aff. C-234/06). Les juges européens avaient alors estimé, pour l’appréciation du risque de confusion dans une procédure d’opposition diligentée par le titulaire d’une « famille » de marque, que le titulaire de ces marques devait apporter la preuve de l’exploitation de chacune des marques. Autrement dit, le titulaire ne pouvait démontrer l’usage d’une marque par l’exploitation d’une autre marque similaire appartenant à une même « famille ».
La CJUE précise aujourd’hui par l’arrêt Rintisch qu’une telle preuve doit être apportée afin de pouvoir établir l’existence d’une « famille » de marque. En effet, « pour qu’il existe un risque que le public se méprenne quant à l’appartenance à une « famille » ou à une « série » de la marque dont l’enregistrement est demandé, les autres marques faisant partie de cette famille ou série devraient être présentes sur le marché » (§28). Dès lors, la preuve de l’existence d’une « famille » de marque implique de démontrer l’exploitation sur le marché des marques qui relèveraient de cette « famille ». En revanche, en dehors de ce contexte particulier, l’utilisation d’une marque constituée d’un signe modifié d’une marque initiale permet d’apporter la preuve de l’usage sérieux de cette dernière, et ainsi, éviter le risque de déchéance.
Cette décision, d’une grande importance, devrait conduire la Cour de cassation à procéder à un nouveau revirement de jurisprudence.