Nullité du contrat de distribution exclusive pour erreur sur les qualités essentielles du distributeur

Type

Droits des contrats - distribution - concurrence - consommation

Date de publication

15 avril 2022

CA Paris, 6 octobre 2021, n°18/20623

L’erreur peut être une cause de nullité lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation, sur la personne ou sur les qualités essentielles de cette dernière. Si l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation est couramment retenue, il en va différemment de l’erreur sur la personne ou sur ses qualités essentielles. L’arrêt commenté ici a, pourtant, retenu une telle erreur sur les qualités essentielles du distributeur pour juger qu’un contrat de distribution était nul.

En l’espèce, un laboratoire, la société Filorga, avait conclu un contrat de distribution exclusive de dispositifs médicaux pour une durée de 8 ans avec la société Oriens. Cette dernière bénéficiait du droit exclusif de promouvoir, et de commercialiser l’ensemble de ses produits sur les territoires chinois, de Hong-Kong et de Macao. Le contrat prévoyait que le distributeur pouvait désigner des sous-distributeurs avec l’accord préalable et/ ou l’autorisation du fournisseur, la société Filorga. Ce contrat avait été conclu le 13 avril 2013. Par la suite, un accord de représentation des produits du fournisseur avait été conclu entre la société Oriens et la société Jiessie International Group Ltd. Le 4 avril 2014, Filorga indiquait à Oriens son souhait de mettre fin immédiatement au contrat de distribution. Le 4 mai suivant, Oriens résiliait, avec effet immédiat, le contrat de représentation qui le liait à Jiessie. Le 1er septembre 2014, Filorga et Jiessie concluaient un contrat de distribution exclusive pour promouvoir, et commercialiser certains de ses produits sur les territoires chinois, de Hong-Kong et de Macao. Enfin, le 10 septembre, Filorga mettait fin au contrat de distribution avec Oriens.

En 2017, la société Oriens a assigné les sociétés Laboratoires Filorga (devenue par la suite Laboratoires FiILL-MED) et Laboratoires Filorga Cosmétiques, sociétés issues de la scission de la société Filorga, du fait de la résiliation qu’elle considérait comme abusive du contrat de distribution exclusive et pour n’avoir pas respecté la clause d’exclusivité du fait du contrat de distribution exclusive conclu avec Jiessie le 1er septembre 2014. En défense, la société Laboratoires Fill-Med invoquait la nullité du contrat de distribution exclusive en raison de l’erreur commise sur les qualités essentielles de son co-contractant et sur la prestation essentielle à la charge du distributeur. En effet, la défenderesse arguait que le distributeur s’était, notamment, prévalu d’une expérience conséquence dans le secteur de la distribution de dispositifs médicaux dans le secteur concerné. Le 2 mai 2018, le Tribunal de commerce de Paris avait jugé que le contrat de distribution exclusive qui liait les deux sociétés était effectivement nul du fait de l’erreur commise sur les qualités essentielles d’Oriens et sur la prestation essentielle à sa charge. Oriens a interjeté appel de cette décision.

C’est dans ce cadre que se situe le présent arrêt.

La Cour d’appel va confirmer le jugement de première instance et raisonner en trois temps.

En effet, dans un premier temps, la Cour d’appel va rappeler les dispositions de l’ancien article 1110 du Code civil, alors applicable au litige, portant sur l’erreur. Cet article disposait que : « L’erreur […] n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ». Pour que l’erreur sur la personne emporte la nullité du contrat, il est donc nécessaire que le contrat soit conclu intuitu personae, c’est-à-dire en considération de la personne du cocontractant. Il est assez fréquent que les contrats de distribution soient qualifiés de contrats intuitu personae (voir par exemple pour un contrat de franchise : Cass. Com., 3 juin 2008, n°06-18.007).

En l’espèce, la Cour d’appel va relever les éléments suivants pour retenir que le contrat avait bien été conclu intuitu personae :

  • La présence d’une clause d’incessibilité du contrat de distribution exclusive et le fait que celle-ci prévoyait que le distributeur avait été « sélectionné(e) en raison de ses compétences spécifiques que le Fournisseur a évolué précisément », une référence aux compétences « techniques et commerciales » du distributeur étant également présente dans le préambule du contrat ; et
  • Le préambule mentionnait que le distributeur était un spécialiste de la vente des produits.

Le caractère intuitu personae du contrat de distribution exclusive était donc établi.

Dans un second temps, la Cour d’appel va étudier l’objet de l’erreur. Elle va relever, que le distributeur, lors des négociations contractuelles, avait indiqué:

  • bénéficier d’une expérience professionnelle dans le secteur de la distribution de dispositifs médicaux depuis 2006 ;
  • disposer d’un effectif de 60 salariés « travaillant sur le marché médical » ;
  • couvrait environ 400 hôpitaux et 100 cliniques en Chine ;
  • d’une succursale à Hong-Kong.

Or, il s’est avéré que la société n’avait pas d’expérience particulière dans le secteur de la distribution des dispositifs médicaux et qu’elle n’avait été immatriculée qu’en 2012, soit un an avant la conclusion du contrat, qu’elle disposait seulement d’un effectif total de 20 salariés et d’aucune relation d’exclusivité avec des hôpitaux ou cliniques et enfin que la succursale en question était une société distincte et autonome du distributeur.

L’erreur sur les qualités essentielles du distributeur était donc bien présente.

Enfin, il s’agissait pour la Cour d’appel de vérifier que l’erreur n’était pas inexcusable. En effet, afin que l’erreur puisse entraîner la nullité du contrat de distribution, il était nécessaire que le fournisseur n’ait pas fait preuve de négligence ou d’imprudence.

Cette exigence, avant la réforme du droit des obligations de 2016 (Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations), était déjà présente en jurisprudence (voir par exemple : Cass. Civ. 1, 27 février 2007, n° 05-11.603). La réforme de 2016 a consacré cette jurisprudence, et l’article 1132 du Code civil dispose désormais que : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ».

En l’espèce, Oriens, le distributeur, soutenait que l’erreur commise par l’intimée n’était pas excusable. Cet argument est rejeté par la Cour d’appel qui relève qu’Oriens ne saurait se prévaloir du caractère inexcusable de l’erreur dans la mesure où cette dernière « résulte de contrevérités de sa part ».

La Cour d’appel fait ici application d’un principe établi en jurisprudence selon lequel l’erreur provoquée par le dol est toujours excusable (voir par exemple Cass. civ. 21 février 2001, n°98-20.817) et qui a été consacré par la réforme de 2016 à l’article 1139 du Code civil.

Néanmoins, en l’espèce, le fondement étudié par la Cour d’appel n’était pas le dol, mais l’erreur sur les qualités essentielles du distributeur. Le dol était également évoqué par le fournisseur, mais ne sera pas étudié par la Cour d’appel dans la mesure où cette dernière retient l’erreur pour juger de la nullité du contrat de distribution exclusive.

La Cour d’appel retient donc que le contrat de distribution exclusive était bien un contrat intuitu personae, qu’une erreur sur les qualités essentielles avait bien eu lieu et que l’erreur n’était pas inexcusable. Elle valide donc le raisonnement du tribunal de commerce qui avait prononcé la nullité du contrat de distribution exclusive.

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