PARASITISME – PRÉCISIONS DE LA COUR DE CASSATION SUR LA NOTION DE « VALEUR ÉCONOMIQUE INDIVIDUALISÉE » DEVANT ÊTRE DÉMONTRÉE PAR LA VICTIME

Type

Veille juridique

Date de publication

13 novembre 2024

Cass. Com., 26 juin 2024, n° 23-13.535 : Maisons du Monde c./ Auchan ;

Cass. Com., 26 juin 2024, n° 22-17.647 et 22-21.497 :  Decathlon c./ Intersport

IMPACT : Dans deux arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de parasitisme, le demandeur doit prouver d’une part la valeur économique individualisée qu’il invoque et d’autre part la volonté du défendeur de se placer dans son sillage.

En outre, elle vient clarifier les contours de la valeur économique individualisée en soulignant que « la recherche d’une économie au détriment d’un concurrent n’est pas en tant que telle fautive » alourdissant la charge probatoire du demandeur.

1. Les faits

Dans l’affaire Maisons du Monde c./ Auchan, cette dernière avait commercialisé des tasses et bols comportant des images « vintage » dessinés par des sociétés prestataires assignées. La société Maisons du monde (MDM) l’a alors assignée en concurrence déloyale et parasitisme, estimant que ces produits reproduisaient un décor similaire à son tableau Pub 50’s, conçu en 2010 par son bureau d’étude de style. A la suite du rejet de ses demandes par la Cour d’appel de Rennes déjà rendu sur renvoi après cassation, un pourvoi a été formé.

Dans l’affaire Decathlon c./ Intersport, la première a commercialisé un masque de plongée « Easybreath » protégé par un modèle communautaire, tandis que la seconde a commercialisé un masque similaire sous la marque Tecnopro, acquis auprès de la société allemande Phoenix Group.

EasyBreath – Decathlon

Tecnopro – Intersport

A la suite d’une action en contrefaçon et en parasitisme initiée par Decathlon à l’encontre d’Intersport, la Cour d’appel de Paris a rejeté la contrefaçon du modèle mais a reconnu la captation de la valeur économique identifiée et individualisée des sociétés Decathlon et condamné Intersport pour parasitisme. 

La Cour de cassation se saisit de ces deux affaires pour rappeler les critères du parasitisme qui aboutissent in fine à une condamnation dans l’affaire Decathlon et à un rejet des demandes dans l’affaire Maisons du Monde.

La Cour a souhaité leur donner une large publicité puisqu’ils sont publiés au Bulletin et seront commentés dans le Rapport annuel d’activité de la Cour de cassation. Elle s’inscrit plus généralement dans la tendance des juridictions à vouloir mieux définir la notion du parasitisme, comme l’indique la récente publication d’une fiche sur la réparation du préjudice de parasitisme par la Cour d’appel de Paris en janvier 2024.

2. Le rappel des critères du parasitisme

Dans les deux arrêts, la Cour de cassation a procédé à plusieurs rappels :

  • Le principe de la liberté du commerce, en soulignant que « les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme »[1]
  • La définition traditionnelle du parasitisme qui est « une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis »[2].
  • Les preuves devant être rapportées par le demandeur : « identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque » et « la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage »[3].
  • La notion de valeur économique individualisée qui « ne [peut] se déduire de la seule longévité et du succès de la commercialisation du produit »[4].

Elle vient ajouter une précision dans l’affaire Decathlon en indiquant que « la recherche d’une économie au détriment d’un concurrent n’est pas en soit fautif, mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce. » : la Cour de cassation semble donc renforcer l’exigence probatoire du demandeur qui ne pourra se contenter de démonter les économies réalisées par le défendeur du fait de la reprise de son idée ou de son concept.

3. Lapplication des critères du parasitisme par la Cour de cassation aux faits d’espèces

Après les rappels des principes du parasitisme, la Cour de cassation s’est livrée à une appréciation très factuelle des faits d’espèces pour s’assurer de la bonne application des principes et livrent à cette occasion plusieurs indices des preuves à produire pour démontrer la valeur économique individualisée.

Dans l’affaire Maisons du Monde c./ Auchan, la société MDM avançait que son tableau Pub 50’s était le fruit d’une combinaison unique d’éléments visuels représentant les années 1950, et démontrait des efforts de promotion.

Toutefois, la Cour de cassation rejette le pourvoi en l’absence de preuve de l’existence d’une valeur économique identifiée et individualisée qui ressort de plusieurs indices listés et longuement détaillés par la Cour :

  • l’absence de copie servile par la société Auchan du tableau Pub 50’s créé par la société MDM qui consiste simplement en un « composé de différents clichés, disponibles en droit libre sur internet » ;
  • la commercialisation du tableau Pub 50’s sur une « période limitée » et « n’ayant jamais été mise en avant comme étant emblématique de la collection « vintage » » ;
  • la reprise d’un genre que la demanderesse n’était ni la seule à exploiter, ni caractéristique de son propre univers ;
  • l’absence de droit de propriété intellectuelle de la demanderesse sur les éléments de ces décors, ce qui peut paraître étonnant eu égard au fondement distinct qu’est le parasitisme ;
  • l’absence de déclinaison du tableau Pub 50’s sur d’autres produits ;
  • le caractère banal de la combinaison d’images préexistantes librement accessibles sur internet et n’ayant jamais été mise en avant comme étant emblématique de l’univers de sa marque.

La Cour de cassation livre ainsi de nombreux exemples pouvant permettre de caractériser une valeur économique individualisée qui, en leur absence, sont autant d’indices devant conduire à écarter l’existence de parasitisme.

Dans l’affaire Decathlon c./ Intersport, il est intéressant de relever que la demanderesse a vu rejeter (i) d’une part son action en contrefaçon de son modèle dont les caractéristiques étaient imposées par la fonction technique du produit, et (ii) d’autre part son action en concurrence déloyale en l’absence de risque de confusion entre les produits.

C’est alors le parasitisme qui lui a permis d’obtenir gain de cause. De la même manière que dans l’affaire Maisons du monde, la Cour de cassation a identifié une liste d’indices la conduisant à retenir cette fois ci l’existence d’une valeur économique individualisée :

  • La notoriété importante du masque Easybreath soutenue par des investissements publicitaires de plus de trois millions d’euros et un chiffre d’affaires de 73 millions d’euros entre 2014 et 2018 ;
  • Le travail de conception et de développement sur une durée de trois années pour un montant total de 350.000 euros ;
  • le caractère innovant de la démarche conduite par Decathlon qui ressort de l’absence de preuve que « des articles équivalents auraient existé sur le marché français au moment du lancement du masque Easybreath ».

La Cour s’est également placée du point de vue du défendeur en soulignant qu’Intersport et son partenaire économique, d’une part « ne justifient d’aucun travail de mise au point ni de coûts exposés relatifs à leur propre produit », et d’autre part que le lancement de leur masque est intervenu « à une période au cours de laquelle les sociétés Decathlon investissaient encore pour la diffusion de spots publicitaires ».

Enfin, s’agissant de l’intention de se placer dans le sillage de son concurrent, la Cour valide l’argumentation des juridictions du fond qui semblent le déduire du « caractère fortement inspiré de l’apparence du masque de Decathlon », du « lien se faisant entre les deux masques du fait de leur aspect global » et de la commercialisation par Intersport de son masque à une période où Decathlon diffusait ses spots publicitaires.

Les sociétés Intersport et Phoenix ont dès lors été condamnées à payer solidairement 100.000 euros de dommages et intérêts aux sociétés Decathlon. Aucune mesure d’interdiction n’est toutefois prononcée compte tenu de l’exploitation du masque Easybreath pendant plus de 3 ans sans que d’autres versions concurrentes ne soient introduites sur le marché.


[1] 1re Civ., 22 juin 2017, pourvoi n° 14-20.310

[2] Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601

[3] Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.1316 ; Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, 99-10.406

[4] Com., 5 juillet 2016, pourvoi n° 14-10.108

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