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PRIX DE REVENTE IMPOSES – Nécessité d’une analyse de la nocivité d’une pratique de prix imposés afin d’établir une restriction par objet
Veille juridique
26 juillet 2023
CJUE, 29 juin 2023, aff. C-211/22
Dans un arrêt du 29 juin 2023, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) confirme que le seul fait qu’un accord vertical fixant des prix minimaux de revente soit susceptible de relever de la catégorie des “restrictions caractérisées” au sens du Règlement n°330/2010 sur les restrictions verticales ne dispense pas, pour pouvoir le qualifier de “restriction de concurrence par objet” au sens de l’article 101 par. 1 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, de vérifier s’il présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence.
La société Super Bock est un producteur portugais de boissons. Pour la distribution de ses produits dans des hôtels, restaurants et cafés, cette société a conclu des contrats de distribution avec des distributeurs indépendants. En 2019, l’Autorité de la Concurrence portugaise lui a infligé une amende de 24 millions d’euros pour avoir imposé à ses distributeurs des prix fixes ou minimums à facturer aux clients. Plus précisément, Super Bock communiquait à ses distributeurs des listes de prix minimums de revente et des marges de distribution, de manière verbale ou écrite. Les distributeurs appliquaient généralement les prix en question, et s’engageaient à communiquer à Super Bock les données relatives à la revente des produits, en termes de quantité et de montant. Lorsque des distributeurs déviaient des prix communiqués, des mesures de représailles étaient mises en œuvre telles que la suppression d’incitations financières (remises) ou encore en termes d’approvisionnement et réapprovisionnement des stocks. A la suite d’un appel, la Cour d’appel de Lisbonne a posé à la Cour de Justice de l’Union européenne un certain nombre de questions tenant, notamment, premièrement (i) à la qualification de restriction de concurrence par objet, et deuxièmement, (ii) à la qualification d’accord au sens de l’article 101 par. 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les réponses de la CJUE sur ces deux points sont les principaux apports de l’arrêt commenté.
(i) La qualification de restriction de concurrence par objet
L’intérêt principal de l’arrêt Super Bock résulte dans la qualification de restriction de concurrence par objet d’un accord vertical fixant les prix de revente, qui est une restriction caractérisée de concurrence en application du Règlement n°330/2010 sur les accords verticaux (le Règlement), applicable en l’espèce en présence d’un contrat de distribution entre un fournisseur et des distributeurs.
Pour rappel, l’article 101, par. 1 du TFUE sanctionne les accords qui ont pour « objet ou pour effet » de porter atteinte à la concurrence. Les restrictions par objet sont celles qui, par leur nature même, ont la capacité de restreindre la concurrence, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner leurs effets. Pour sauver les accords en question, il sera dès lors nécessaire de prouver qu’ils peuvent être exemptés, soit par le biais d’une exemption individuelle (article 101, par. 3 du TFUE), soit par le biais d’un règlement d’exemption. Or, l’article 4 a) du Règlement sur les accords verticaux, dispose que la fixation de prix minimums de revente constitue une restriction caractérisée de concurrence, de sorte que le bénéfice de l’exemption pour un accord comportant une telle restriction est perdu.
En l’espèce, la CJUE commence par rappeler que la notion de restriction de concurrence par objet doit être interprétée de manière restrictive. Ensuite, la CJUE donne une grille d’analyse en indiquant que pour déterminer si une restriction est une restriction par objet, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs à atteindre, ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel l’accord s’inscrit.
Plus spécifiquement, concernant la question des prix de revente imposés, et c’est là l’apport principal de cet arrêt, la CJUE souligne que le Règlement, bien que retirant l’exemption pour les accords comportant une fixation de prix de revente ou un prix minimal, ne prévoit pas que cette restriction caractérisée constitue une restriction de concurrence par objet. Dès lors, les juridictions ou autorités doivent mener l’analyse décrite ci-dessus pour qualifier l’accord de restriction de concurrence par objet, même en présence d’une restriction caractérisée. Il convient toutefois de souligner que la Cour indique que la présence d’une restriction caractérisée pourra être pris en compte dans le contexte juridique dans le cadre de la grille d’analyse décrite ci-dessus.
Ainsi, autrement dit, la présence d’une restriction caractérisée ne saurait dispenser les autorités d’examiner la nocivité de l’accord au regard des éléments décrits ci-dessus.
(ii) La qualification « d’accord »
Ensuite, la CJUE donne également des précisions sur la notion d’accord au sens de l’article 101, par. 1 du TFUE, lequel vise notamment les « accords » ayant pour objet ou
pour effet de porter atteinte à la concurrence.
Ainsi, la CJUE rappelle la position constante de la Cour sur le fait qu’un accord existe lorsque des entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée. Cet accord peut résulter de clauses des contrats de distribution, mais également du comportement des parties, avec notamment un acquiescement des distributeurs à une invitation de respecter les prix de la part des fournisseurs.
Une politique de prix unilatérale ne saurait constituer un accord en application de l’article 101, par. 1 du TFUE. Par exemple, l’envoi de listes de prix minimaux et la mise en place d’une police de prix avec un système de représailles ne signifient pas nécessairement qu’il existe un accord anticoncurrentiel, et peuvent résulter d’un comportement purement unilatéral du fournisseur.
En revanche, la CJUE indique que lorsque ce comportement apparemment unilatéral du fournisseur est accompagné d’un respect des prix par les distributeurs, ou que leur indication est sollicitée par les distributeurs, qui tout en se plaignant au fournisseur des prix indiqués, ne pratiquent pas des prix différents, alors il pourrait y avoir un acquiescement des distributeurs et donc un accord au sens de l’article 101, par. 1 du TFUE.
Enfin, dans le cadre de cet arrêt, la CJUE a également été amenée à se prononcer (i) sur la question de la preuve d’un accord concurrentiel en confirmant que la preuve d’un tel accord peut être apportée par le biais de preuves directes ou par le biais d’un faisceau d’indices, et (ii) sur la notion d’affectation du commerce entre Etats Membres en confirmant que le commerce entre Etats Membres peut être affecté même lorsque l’accord examiné ne couvre pas l’intégralité du territoire d’un Etat Membre mais concerne la quasi-totalité de ce dernier.