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RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ETABLIES – Le juge n’a pas l’obligation d’expliquer les raisons pour lesquelles la durée du préavis jugée comme suffisante permet à la victime de retrouver des débouchés
Veille juridique
13 février 2024
Cass. Com. 18 octobre 2023, n°22-20.438
En matière de rupture brutale des relations commerciales établies, l’indemnité est calculée sur la base du préavis qui aurait dû être accordé à la victime. Pour apprécier le préavis, l’article L.442-1, II (anc. Art. L.442-6, I, 5°) du Code de commerce impose de prendre en compte la durée de la relation commerciale mais n’exclut pas la considération d’autres critères. En tout état de cause, le juge n’a pas à justifier les raisons pour lesquelles le préavis permet à la victime de retrouver des débouchés. C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt du 18 octobre 2023.
En l’espèce, un prestataire (une société de conseil) conclut en 2014 un contrat avec une banque d’une durée d’un an relatif à des prestations de conseil. Un second contrat est conclu en 2015 pour la même durée. Les prestations relatives aux deux contrats sont réalisées par le prestataire ainsi que par deux collaborateurs non-salariés de cette dernière. En 2016, la banque décide de recourir aux services de ces deux collaborateurs par le biais de deux autres sociétés.
Considérant que la banque a manqué à ses obligations et a rompu brutalement leur relation commerciale établie, le prestataire assigne la banque devant le tribunal de commerce de Paris.
Par une décision en date du 17 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris déboute le prestataire de toutes ses demandes au motif que la succession de deux contrats à durée déterminée ne suffit pas à caractériser une relation commerciale établie.
En réaction, le prestataire décide d’interjeter appel aux fins de voir la banque condamnée à lui verser la somme de 100.000 euros au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par son arrêt en date du 22 juin 2022 (RG n°20/17215), la Cour d’appel de Paris donne droit au prestataire, considérant que la banque s’est rendue coupable d’une rupture brutale de la relation commerciale établie alors que la banque aurait dû laisser au prestataire un préavis de trois mois afin de lui permettre de se réorganiser.
La Cour d’appel rappelle qu’une relation commerciale est établie dès lors qu’elle présente « un caractère suivi, stable et habituel », la stabilité s’entendant comme le fait pour la victime de la rupture de légitimement s’attendre à une « continuité du flux d’affaires ».
Les juges d’appel considèrent donc que deux contrats successifs d’une durée d’un an peuvent constituer une relation commerciale établie au regard de la continuité de la mission confiée au prestataire, justifiant, par ailleurs, sa croyance légitime dans une nouvelle reconduction du contrat, similaire à celle intervenue au terme du premier contrat.
La Cour d’appel souligne, en outre, que la durée de préavis s’entend du « temps nécessaire à l’entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation ».
Elle considère alors, en l’espèce, qu’un préavis de trois mois aurait dû être accordé au prestataire au regard de la durée de la relation de deux ans entre les parties, de l’évolution des coûts et chiffres d’affaires. La Cour condamne alors la banque au versement de la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Faisant grief à l’arrêt de limiter les dommages et intérêts à la somme de 25.000 euros alors que la Cour n’a pas précisé dans quelle mesure le préavis de trois mois lui permettait de retrouver des débouchés, le prestataire se pourvoit en cassation.
La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif qu’a légalement justifié sa décision : « la cour d’appel, qui n’avait pas à expliquer davantage la raison pour laquelle la durée de trois mois permettait au prestataire de retrouver des débouchés, dès lors qu’elle a apprécié le caractère suffisant du préavis en considération du seul critère légal alors applicable et des circonstances propres à la relation en cause ».
En conséquence, la Cour de cassation, après avoir confirmé le caractère établi d’une relation commerciale constituée de deux contrats successifs d’un an, rappelle que, dès lors que la Cour d’appel a apprécié le caractère suffisant du préavis au regard du critère légal posé par l’article L.442-1, II (anc. Art. L.442-6,I, 5°) du Code de commerce, à savoir la durée de la relation, elle n’est tenue par aucune obligation de motivation même si, outre le critère légal, elle a fait intervenir d’autres critères, tels que la possibilité de retrouver des débouchés, afin d’apprécier le préavis.