- Accueil
- |
- Actualités
- |
- RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ETAB...
RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS COMMERCIALES ETABLIES – Les éléments postérieurs à la notification de la rupture ne peuvent être pris en compte dans la détermination de la durée du préavis
Veille juridique
26 juillet 2023
Cour de Cassation, Ch. Com., 17 mai 2023, n°21-24.809
La détermination de la période de préavis suivant une rupture brutale des relations commerciales établies ne peut pas prendre en considération des éléments intervenus postérieurement à la date de notification de la rupture.
En l’espèce, la société TNT a confié l’exécution de prestations de transport et de livraison d’envois internationaux à la société MATIM, cette dernière étant spécialisée dans le transport de marchandises au Maroc.
En 2009, TNT et MATIM ont conclu un contrat relatif aux prestations susvisées dans lequel était prévu, en cas de résiliation de celui-ci, un préavis de 45 jours.
En 2016, la société FEDEX a racheté les actions de la société TNT puis, l’année suivante, a lancé un appel d’offres afin de sélectionner son prochain prestataire de livraison au Maroc.
La participation à l’appel d’offres obligeait ses candidats à signer un accord de confidentialité. Souhaitant se porter candidate, MATIM a signé cet accord le 2 octobre 2017, qui contenait, compte tenu de sa relation avec TNT, une clause selon laquelle MATIM acceptait les conséquences d’une éventuelle cessation de leurs relations contractuelles, cet accord constituant le point de départ du délai de préavis afférent à cette résiliation.
Par courrier en date du 15 janvier 2018, TNT a informé MATIM du rejet de sa candidature et a indiqué que ce courrier faisait courir le point de départ du délai de préavis de 45 jours.
S’estimant victime d’un appel d’offres fictif, MATIM a assigné TNT aux fins de la voir condamnée à lui verser la somme de 7.776.000 € en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies sur le fondement de l’article L.442-6 I 5° du Code de Commerce, outre sa condamnation au préjudice moral subi, au remboursement des garanties bancaires prises par son gérant et aux frais et dépens de l’instance.
A titre préliminaire, il convient de souligner qu’en l’espèce, l’article L.442-6 I 5° du Code de Commerce était celui applicable dans sa rédaction antérieure (modifié par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 et devenu le nouvel article L.442-1 II du Code de Commerce).
La chambre commerciale internationale de la Cour d’Appel de Paris, par son arrêt rendu le 18 juillet 2019 (RG n° 19/14727), a donné droit à la société MATIM tout en réduisant la demande d’indemnisation demandée à TNT.
La Cour d’Appel a souligné qu’en cas de rupture des relations commerciales établies, « le délai de préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture » et dont les « principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l’ancienneté des relations, le volume d’affaires et la progression du chiffre d’affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits et services en cause ».
Les juges d’appel ont considéré que la période de départ du préavis a couru à compter de la signature de l’accord de confidentialité le 2 octobre 2017 et non à compter du courrier du 15 janvier 2018. En effet, la Cour a estimé que MATIM ne pouvait ignorer la volonté de la société TNT de remettre en cause le contrat de services entre elles et qu’elle a expressément accepté, en signant l’accord de confidentialité de l’appel d’offres, à ce que cet acte soit le point de départ de la période de préavis. Dans les faits, un préavis de 5 mois a donc été concédé par TNT à MATIM dès octobre 2017.
Pour calculer le préavis, la Cour d’Appel a mis en balance deux aspects quant aux effets de la résiliation de cette relation contractuelle.
D’une part, la Cour d’Appel a pris en compte la dépendance économique de MATIM réalisant environ 70 % de son chiffre d’affaires grâce à TNT, sa relation d’exclusivité, son obligation de non-concurrence contractuelle et post-contractuelle de deux ans auprès de TNT ainsi que les importants investissements réalisés par MATIM pour le déploiement des services au Maroc, l’ensemble de ces éléments étant appréciés au sein d’un marché très concurrentiel.
D’autre part, la Cour a également pris en compte le fait que même si MATIM a « perdu une grande partie de ses clients, de ses employés, de son outil de travail, […] elle a su se réorganiser, trouver d’autres débouchés, adapter son activité. Elle a retrouvé actuellement 75 % de ses anciens clients, et développe une activité prometteuse avec le groupe TOTAL », elle a su se réinventer et « exerce désormais son activité sous enseigne « MTI Express », et a « développé une activité concurrente à celle de la société TNT. […] et met en avant les accords « tarifaires négociés avec les plus grands transporteurs du marché tels que DHL, UPS, Aramex, Chronopost ainsi que [sa totale] indépendance vis-à-vis d’eux ».
En considération de ces éléments qui démontrent l’impact de la rupture de cette relation mais également la reconversion réussie de MATIM et de ses bénéfices actuels, la Cour d’appel a fixé la durée de préavis à 12 mois en incluant dans ce délai, le préavis de 5 mois déjà effectué. TNT a été condamnée au paiement de la somme de 1.052.513 € pour les sept mois restants du préavis qui n’a pas été réalisé.
La Cour de Cassation casse et annule l’arrêt au motif que la Cour d’Appel, en prenant en compte la réussite dans la reconversion de MATIM suite à cette cessation des relations d’affaires, « s’est fondée sur des éléments postérieurs à la notification de la rupture pour apprécier la durée de préavis à laquelle la société MATIM pouvait prétendre ».
En conséquence, la Cour de Cassation rappelle que seuls les éléments antérieurs à la notification de la rupture des relations commerciales peuvent être pris en considération pour calculer le délai de préavis nécessaire.
Les parties sont renvoyées devant la Cour d’Appel de Paris.