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GARANTIE DES VICES CACHÉS – La chambre mixte de la Cour de cassation qualifie de délai de prescription le délai biennal dans lequel l’action en garantie des vices cachés peut être introduite et enferme cette action dans un délai butoir de 20 ans à compter de la vente
Veille juridique
12 octobre 2023
Par quatre arrêts très attendus en date du 21 juillet 2023[1], la chambre mixte de la Cour de cassation apporte une réponse unifiée à deux questions faisant débat entre ses chambres concernant la qualification du délai biennal de l’article 1648 du Code civil relatif à l’action en garantie des vices cachés et le délai butoir dans lequel cette action peut être engagée.
Pour rappel, l’alinéa premier de l’article 1648 du Code civil dispose que :
« L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice (…) ».
On l’aura remarqué, ce texte ne qualifie pas la nature juridique du délai biennal laissé à l’acquéreur pour introduire une action en garantie des vices cachés.
Le silence de ce texte a alors conduit la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation à le qualifier de délai de prescription susceptible d’être suspendu tandis que la troisième chambre civile de la Cour de cassation a considéré qu’il s’agissait d’un délai de forclusion insusceptible d’être suspendu.
La réunion de la chambre mixte de la Cour de cassation était donc attendue et c’est au travers de quatre affaires que celle-ci est venue unifier les solutions jurisprudentielles existantes.
- Qualification du délai biennal (pourvoi n°21-15.809)
Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation, un producteur de produits alimentaires longue conservation à destination des professionnels s’approvisionnant en poches de conditionnement chez un fournisseur a saisi la juridiction compétente d’un référé expertise en raison du gonflement anormal entraînant la détérioration de certaines poches. Une fois l’expertise judiciaire réalisée, ce producteur a assigné son fournisseur en réparation du préjudice et ce dernier a alors argué d’une fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l’action en garantie des vices cachés en ce que le délai biennal de l’article 1648 du Code civil ne pourrait, selon lui, pas être suspendu par une mesure d’expertise judiciaire.
C’est dans ce contexte que la chambre mixte de la Cour de cassation a précisé que l’article 1648 du Code civil « (…) n’a pas spécialement qualifié le délai imparti par le premier alinéa à l’acheteur pour agir en garantie contre le vendeur (…) » et a ensuite relevé que ce délai a parfois été qualifié de délai de forclusion et parfois de délai de prescription de sorte que « (…) les exigences de la sécurité juridique imposent de retenir une solution unique (…) ».
La recherche de cette solution unifiée a conduit la chambre mixte de la Cour de cassation à rechercher la volonté du Législateur.
D’une part, la Cour précise que les rapports accompagnant l’ordonnance n°2005-136 du 17 février 2005[2] ayant substitué le bref délai de l’article 1648 du Code civil par un délai biennal de deux ans à compter de la découverte du vice, ainsi que son projet de loi de ratification, mentionnent l’existence d’un délai de prescription.
D’autre part, elle rappelle que l’objectif poursuivi par le Législateur est « (…) de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d’une réparation en nature, d’une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d’un vice caché, l’acheteur doit être en mesure d’agir contre le vendeur dans un délai susceptible d’interruption et de suspension (…) ».
Par conséquent, la chambre mixte de la Cour de cassation déduit de ce qui précède que le délai biennal de l’article 1648 du Code civil est un délai de prescription pouvant être suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction.
- Délai butoir de vingt ans (pourvois n°21-17.789, n°21-19.936, et n°20-10.763)
Les trois autres affaires soumises à l’analyse de la chambre mixte de la Cour de cassation concernaient l’articulation du délai biennal pour agir en garantie des vices cachés avec la prescription quinquennale de l’article L.110-4 du Code de commerce.
Dans ces trois affaires, les défendeurs arguaient de la prescription de l’action des plaignants en ce que le délai biennal de l’article 1648 du Code civil serait, selon eux, enfermé dans le délai de prescription quinquennal de l’article L.110-4 du Code de commerce. Les défendeurs arguaient donc du double délai d’action consacré par la jurisprudence jusque-là puisque, pour rappel :
- Dans les ventes civiles, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 relative à la prescription en matière civile[3], la jurisprudence considérait que le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés était enfermé dans le délai de droit commun de l’article 2262 du Code civil prévoyant une prescription extinctive de trente ans.
A compter de l’entrée en vigueur de la loi précitée, le nouvel article 2224 du Code civil a réduit la durée de la prescription de droit commun à cinq ans en la dotant d’un point de départ glissant : le jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
- Dans les ventes commerciales ou mixtes, l’article L.110-4 du Code de commerce a d’abord prévu une prescription de dix ans puis la loi du 17 juin 2008 a réduit ce délai à cinq ans pour l’harmoniser avec celui de l’article 2224 du Code civil sans toutefois venir préciser le point de départ de celui-ci. La jurisprudence est donc venue préciser ce point de départ en considérant qu’il ne pouvait résulter que du droit commun de l’article 2224 du Code civil et débuter à compter du jour de la naissance du droit.
La chambre mixte de la Cour de cassation précise donc que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du Code civil et L.110-4 du Code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai biennal pour agir en garantie des vices cachés, à savoir la découverte du vice et conclut que les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L.110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l’action en garantie des vices cachés.
En considération de ce qui précède, la chambre mixte de la Cour de cassation est en conséquence venue spécifier dans les termes qui suivent que l’action en garantie des vices cachés est soumise à un délai butoir de vingt ans à compter de la vente : « (…) L’encadrement dans le temps de l’’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie (…) ».
Pour terminer, la chambre mixte de la Cour de cassation s’est prononcée sur la computation du délai butoir de vingt ans lorsque la vente a été conclue avant le 19 juin 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, et est venue préciser que, dans pareille situation, les dispositions transitoires prévues à l’article 26 de ladite loi, reprises à l’article 2222 du Code civil, trouveront à s’appliquer. En d’autres termes :
- Dans les ventes civiles, le délai de vingt ans est applicable à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, sans que sa durée totale ne puisse excéder la durée de trente ans prévue par l’ancien article 2262 du Code civil et qui aurait commencé à courir antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi;
- Dans les ventes commerciales ou mixtes, le délai de vingt ans s’applique si l’ancienne prescription décennale de l’article L.110-4 du Code de commerce n’a pas expiré au 19 juin 2008.
[1] n°21-15.809, n°21-17.789, n°21-19.936, et n°20-10.763.
[2] Ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 relative à la garantie de la conformité du bien au contrat due par le vendeur au consommateur.
[3] Loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.